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Critique

Et Dos passa

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Gallimard réédite la trilogie «U.S.A.», miroir de l'Amérique du début du siècle et oeuvre maîtresse d'un écrivain au parcours politique chaotique, ami d'Hemingway et oublié après avoir été encensé.
publié le 17 octobre 2002 à 1h27

Le 28 septembre 1970 au matin, John Dos Passos meurt d'une crise cardiaque. Il a 74 ans. Sa seconde femme est sortie acheter le journal. La première, Katy, a péri en 1947, dans un accident de voiture. Il est entré dans un camion. Elle meurt sur le coup. Il perd l'oeil droit et ne peut assister aux obsèques. La mort de Katy rejoint pour son mari un deuil plus ancien : celui des illusions politiques ; depuis 1937, depuis la guerre d'Espagne, cet homme jadis très engagé à gauche les a perdues. On le lui a peu pardonné. Le Petit Larousse 1964 n'a que ces mots pour le décrire : «Auteur de récits réalistes et pessimistes.» C'est un peu comme si l'on écrivait de Proust : «Auteur de récits mondains et psychologiques.»

Pour comprendre le sens de la trilogie U.S.A., ce prophétique kaléidoscope américain chargé d'énergie et de dépression, il faut d'abord saisir ces illusions que l'oeuvre anime et détruit. Dos Passos est le petit-fils d'un cordonnier portugais de Madère qui dut fuir l'île pour avoir joué du couteau. Son fils, John R., devient un avocat célèbre aux Etats-Unis. Il se lève tôt, fait ses exercices, se baigne dans l'eau froide, puis fonce dans la journée «comme un taureau». Marié, il tombe amoureux de la future mère de John Dos Passos. Il ne peut reconnaître son fils que lorsqu'il épousera celle-ci en 1910. «John Roderigo Dos Passos Junior» a 14 ans.

L'enfant a déjà beaucoup lu et voyagé avec sa mère en Europe. L'adolescent suit des études à Harvard, mais se dégage vite des «e