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Libération
Critique

Les Indes sanglantes

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En 1523, le dominicain castillan Bartolomé de Las Casas entreprend de raconter les atrocités qu'il a vues lors de la conquête des Amériques. Première traduction d'une oeuvre monumentale.
publié le 31 octobre 2002 à 1h36

En 1514, un clerc trentenaire installé à Cuba, Bartolomé de Las Casas, comprend soudain que le génocide des Indiens mène l'Espagne et ses aventuriers à la ruine et à «l'enfer». Il suit alors le capitaine Panfilo de Narvaez. Ce tueur et conquérant redoutable recherche à Cuba des indigènes en fuite. Dans Histoire des Indes, écrite par la suite, entre 1523 et 1560, c'est à cet instant que Las Casas devient véritablement acteur de son livre : le moment littéraire où l'aventurier, le mémorialiste et le théologien pamphlétaire se confondent ; le moment moral où la crise de conscience d'un homme anticipe celle d'un pays. Il débute page 153, livre troisième, de cette oeuvre pour la première fois traduite (1). Jusque-là, l'auteur ne s'est présenté que brièvement au livre premier, pour préciser qu'il avait célébré la première messe des Indes en 1510 à Saint-Domingue. Cette fois, écrit-il, le gouverneur de Cuba Diego Velazquez vante «un clerc, nommé le licencié Bartolomé de Las Casas, originaire de Séville, un des anciens de l'île Espagnole (Saint-Domingue), prédicateur, que Diego Velazquez aimait et qui, de l'avis de ce dernier, faisait beaucoup de choses bonnes, surtout par ses sermons.» Le gouverneur «ordonna au clerc Bartolomé de Las Casas d'accompagner (Narvaez), et je crois qu'il le lui demanda personnellement par lettre».

Devenu plus tard frère dominicain (le grand ordre inquisiteur), théologien reconnu et proche de Charles Quint, Las Casas aurait voulu être le chroniqueur offici