«Aujourd'hui comme hier, le monde est plein de violence. Toujours et encore, d'innombrables hommes sont en train de torturer et de tuer d'autres hommes par toutes les méthodes imaginables. C'est comme si tous les efforts fournis avaient passé sans laisser de traces à côté de la constitution morale de l'espèce». On le voit, le constat que livre Wolfgang Sofsky dans l'Ere de l'épouvante ne laisse pas beaucoup d'espoir sur la possibilité de l'homme de contrarier ses pires penchants, pour la bonne raison que, n'ayant rien de naturel, ils trouvent leur origine dans le processus même de civilisation. Pour être désespérée, la thèse n'est pas neuve, Sofsky en avait fait déjà le noyau de son Traité de la violence (Gallimard, 1998) et l'axe de l'Organisation de la terreur. Les camps de concentration (Calmann-Lévy, 1995). On pourrait s'étonner qu'un sociologue spécialiste de relations de travail, né en 1952, professeur aux universités de Göttingen et d'Erfurt, consacre le plus clair de sa recherche à la violence et à la mort, mais c'est justement parce qu'on touche ici à l'autre du social, à la limite qui en marque un effondrement toujours menaçant. En son pessimisme même, Sofsky renoue avec les classiques : Weber et Durkheim n'ont-ils pas chargé la sociologie naissante de donner un peu de sens, sinon de raison, à des sociétés qui, à leurs yeux, en manquaient cruellement ?
Inutile de chercher des raisons profondes aux massacres et guerres perpétrés par l'homme contre ses semblables, qu'