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Libération
Critique

L'histoire repasse les plats

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Comment le pouvoir bolchevique a perpétué la fonction nourricière qui faisait la puissance des tsars.
publié le 14 novembre 2002 à 1h46

«Du passé, faisons table rase», telle est la maxime que le régime bolchevique a imposée à une Russie sommée de se plier au dogme léniniste puis stalinien. Soulignant la rupture que consacre la Révolution d'Octobre, cette conception n'est pas sans fondements. Elle ne saurait pour autant nier les liens complexes qui unissent la vieille Russie à la nouvelle ­ relation qu'explore Tamara Kondratieva en partant précisément de la table ­ ou pour être plus précis, de la fonction nourricière qu'exerça le pouvoir politique.

Les tsars utilisaient la nourriture pour marquer leur puissance et leur générosité. A la cour, les repas suivaient un ordonnancement rigoureux où la disposition des convives comme la qualité des mets offerts signifiaient à chacun et son rang et l'estime que lui vouait le souverain. Ce système codifié se reproduisait en province, d'autant que les fonctionnaires de l'Empire, non ou mal rétribués par l'Etat, subsistaient grâce aux offrandes, souvent alimentaires et rarement spontanées, que leurs administrés devaient leur consentir. Que la naissance d'une administration moderne salariée ait au XIXe siècle contribué à anéantir ce système ne surprendra guère. Que les bolcheviques l'aient réactivé pourra en revanche étonner.

De fait, le pouvoir soviétique s'est en partie établi en établissant un accès sélectif aux biens alimentaires. La nomenklatura bénéficiait selon son rang de ressources abondantes, disponibles notamment dans des magasins spéciaux ou pour les plus chanceu