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Libération
Critique

La haine fraîche

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Une réflexion morale et politique sur une passion mauvaise sans laquelle nous ne serions rien .
publié le 14 novembre 2002 à 1h46

L'homme, écrivait René Char, est «capable de faire ce qu'il est incapable d'imaginer». L'imagination, pourtant, ne semble guère connaître d'obstacles et peut à loisir aller à l'infini. L'action est tenue, elle, retenue, jugulée par les lois de la nature, laquelle n'a pas donné la force de soulever des montagnes ni de courir comme un jaguar, et semble enfermée dans le champ du possible. Mais elle a des adjuvants, presque des vitamines, qui en décuplent les capacités, la rendent pour ainsi dire folle et lui font outrepasser ses limites. Si la velléité l'anémie quelque peu, la raison la rend sage et efficace, la volonté la fait dure et décidée : mais c'est la passion qui lui apporte son incontrôlable énergie. L'homme passionné, même s'il ne fait pas ce qu'il veut, est capable de tout faire, y compris ce qu'il n'eût pas fallu faire et ce qu'il ne se serait jamais cru capable de faire. On pense à l'amour. Mais c'est assurément la haine ­et toute l'armada des affections dont elle a le soutien, la colère, la vengeance, l'envie, la dérision, la cruauté, la raillerie, le mépris... ­ qui donne à l'action humaine sa forme hyperbolique, sa démesure et sa toute-puissance.

Olivier Le Cour Grandmaison, qui enseigne les sciences politiques et à qui l'on doit par ailleurs Passions et sciences humaines (avec Claude Gautier, PUF 2001), vient de publier Haine (s). Le sous-titre du livre, «Philosophie et politique» en indique le registre et les intentions : définir une notion dans le champ auquel