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Libération
Critique

Un pas de géant

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Le grand Etienne Vollard, libraire hypermnésique, renverse une petite fille avec sa camionnette, se déleste du plomb d'imprimerie et fait l'apprentissage de la légèreté.
publié le 14 novembre 2002 à 1h46

A cinq heures, heure à laquelle on s'attend généralement à ce que sortent les marquises, le chemin du libraire Etienne Vollard croise celui d'Eva Blanchot. Cela n'aurait pas dû arriver. «Ce ne sera plus la même vie. Ordinaire et gluant, l'événement s'est plaqué comme un poulpe sur les choses.» Etienne Vollard a écrasé la petite fille.

C'est que la petite Eva, chaperon rouge, collants de même couleur, et le sang pareil, s'est jetée sous les roues de la camionnette du libraire, n'ayant pas regardé avant de traverser. On imagine bien. Novembre comme en ce moment, un soir de pluie, la sortie de l'école, les familles s'égaillent. Sa maman, Thérèse Blanchot, n'est pas venue chercher Eva. Thérèse a occupé sa journée à tuer le temps en roulant droit devant elle, et quand elle a rebroussé chemin, de manière à ne pas être exagérément en retard, elle n'est pas allée aussi vite que prévu. Quand elle prend le train, pour rien, pour Paris, la SCNF assure l'aller et retour en des temps raisonnables. Cette fois, elle est arrivée trop tard, à l'heure où les enfants sont soit rentrés, soit gardés, soit en danger.

A Etienne Vollard, venu rendre visite à la victime, à l'hôpital, car Eva n'est pas morte, à Etienne Vollard, Thérèse Blanchot dira : «J'ai pensé à Eva, toute seule, mais je ne prévoyais pas sa panique. Je ne prévois jamais ce qui est important.» Eva toute seule est une des trajectoires du livre. Les deux autres sont de la même eau, à chacun son mauvais sort unique et radical. Thérèse d