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Libération
Critique

La datcha Jivago

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Les purges, les camps, l'amour et la littérature : souvenirs de la fille de Lara, enchantés par Boris Pasternak.
publié le 21 novembre 2002 à 1h51

Irina Emélianova est la fille d'Olga Ivinskaïa, qui inspira en partie le personnage de Lara dans le Docteur Jivago. On ne s'étonnera pas que ses souvenirs, Légendes de la rue Potapov, soient tout illuminés par la haute figure de Boris Pasternak. Tsvetaeva : «Chez Pasternak, même l'apparence est oeuvre de beauté.» Il fut intronisé un jour de 1947 dans la famille, pour le plus grand bonheur de celle-ci, et son plus grand malheur. Olga Ivinskaïa et lui s'étaient rencontrés l'année précédente. Il avait 56 ans et elle 34. Il était marié, devait ne jamais quitter sa femme et entretenir les deux foyers jusqu'à sa mort en 1960. Elle était veuve, belle, «candide», écrit sa fille. Pour Pasternak, elle est la Marguerite de Faust. Dédicace de sa traduction de Goethe : «Olga, sors un peu de ce livre, prends un siège et lis-le.»

«Dans cet appartement, tout le monde partage le même sort, vieillards, veuves, enfants.» Rue Potapov, à Moscou, les enfants sont Irina, 9 ans, et son demi-frère Dimitri. Irina n'a pas connu son présumé père, suicidé quelques mois après sa naissance. Le seul homme est le grand-père cordonnier ; la grand-mère n'a pas voulu que le père de Dimitri, un apparatchik, habite avec eux. Il se vengea, on sut que c'était lui qui avait dénoncé sa belle-mère, envoyée pour six ans dans un camp de rééducation, où sa fille Olga alla la chercher pendant la guerre. Il y a aussi la tante sourde, veuve d'ingénieur fusillé, et la tante impotente, veuve d'officier exécuté.

Irina Emélianov