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Critique

Un Aristote en Pennsylvanie

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Logicien, philosophe, chimiste, psychologue, ingénieur, inventeur entre autres de la sémiotique , l'américain Charles Sanders Peirce était assurément un génie.
publié le 21 novembre 2002 à 1h50

On le dit aujourd'hui, qu'il est l'«Aristote américain», et lui-même était à peu près persuadé qu'il serait, un jour, qualifié de tel. En s'installant à Milford, Pike County, Pennsylvanie, il avait rêvé qu'Arisbe, la fermette qu'il avait achetée grâce au modeste héritage de son père, fût une nouvelle Académie platonicienne, un Jardin d'Epicure, une communauté savante, un lieu de rencontre et d'échange que seraient venus peupler des hommes de science et des philosophes du monde entier, avec lesquels il se serait promené ­ au loin on devinait le fleuve Delaware ­ et aurait discuté de chimie, de logique et de métaphysique, comme Aristote le faisait au Lycée. Personne, jamais, ne viendra. William James l'assistera de loin. Il travaillera seul, sous le regard de Juliette, pendant vingt-cinq ans, avec une constance et un acharnement admirables, malgré les déceptions, les difficultés en tout genre, les fuites de la toiture, les chaussures trouées, le froid, la faim. Lorsqu'il meurt d'un cancer, le 19 avril 1914, personne ne réalise que disparaît «un des plus grands philosophes de tous les temps», selon le mot de Karl Popper, «un des esprits les plus originaux du XIXe siècle, et certainement le plus grand penseur que l'Amérique ait jamais eu», comme le dira Bertrand Russell.

Il n'est pas douteux que Charles Sanders Peirce a été un génie. On se demande même comment un homme a pu être, dans sa vie, tout ce qu'il a été : philosophe, mathématicien, logicien, astronome, chimiste, géodésie