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Critique

Shoah rationnelle

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Selon le sociologue Zygmunt Bauman, l'holocauste n'a rien d'un accident de l'histoire, mais est un produit de la rationalité moderne.
publié le 5 décembre 2002 à 2h01

Qu'il ne fallait pas mettre l'holocauste sur le compte de quelques criminels psychopathes nazis et dédouaner ainsi un système social tout entier, cela fait un certain temps que les historiens l'ont montré, de même que les philosophes ou théologiens ont pu souligner la responsabilité générale des Allemands (et d'autres), y compris ceux qui n'ont fait que se taire ou tourner le regard ailleurs. Commence à être acceptée aussi, depuis quelque temps, l'idée que l'extermination des juifs au cours de la Seconde Guerre mondiale, loin d'être une intrusion inattendue de l'irrationalité et de la barbarie, dans un monde par ailleurs civilisé, a partie liée avec beaucoup de traits de la rationalité moderne. Hannah Arendt et Raul Hilberg, parmi d'autres, en ont établi les prémices interprétatives, mais c'est Zygmunt Bauman qui a achevé cet infléchissement avec Modernité et holocauste paru en Grande-Bretagne en 1989 et enfin traduit en français après avoir fait l'objet d'intenses débats ailleurs. Sociologue au parcours accidenté, Bauman s'est résolu à étudier l'holocauste parce que la sociologie l'avait laissé de côté, comme si cette discipline "moderne" n'avait rien à en dire, et lui-même ne s'y est mis qu'après que sa femme Janina a publié l'histoire de sa propre vie et de sa lutte clandestine dans le ghetto de Varsovie.

Juif, né en 1925 à Poznan, ancienne ville allemande devenue polonaise à la fin de la Première Guerre mondiale, c'est un peu contraint et forcé que Zygmunt Bauman s'est re