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Libération
Critique

Le passé à la Moulinex

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Une ouvrière, interrogée par son fils, raconte trente ans d'usine.
publié le 2 janvier 2003 à 21h37

«Comment dire », objectait la mère, ouvrière chez Moulinex, près de Caen. Comment parler de «la banalité, la vie d'usine», tellement répétitive que les milliers de journées écoulées depuis son embauche, trente ans auparavant (elle avait 20 ans), lui paraissent une seule et unique journée ? Et puis, «c'est usant de regarder en arrière». Le fils a insisté : «Laisse-toi aller, parle (...) Moi, je mettrai par écrit.» Il est instituteur, et c'est son premier livre. Un livre qu'il a voulu, plus qu'elle, insensible à «cette histoire de laisser des traces dont il me rebat les oreilles». Mais elle a accepté, peu à peu emportée par cette démarche libératrice, qui lui permet d'exprimer sa «révolte sourde et différée», de témoigner sur cette usine osmotique : «Elle vit en nous et nous vivons en elle.» Solidaire, aussi, de ce fils qui réussit à quitter la condition ouvrière (c'est rare : les deux tiers des enfants des Moulinex y demeurent) et qui, peut-être, deviendra écrivain. Elle, dont la mère ne savait pas lire et qui avait rêvé d'être institutrice.

Alors, elle lui donne la matière : ses souvenirs, remontés avec les albums de photos qu'elle feuillette avec lui, fournis surtout sur ses années de jeunesse et d'espoir. Elle appartient à la génération de l'image, qu'elle s'est appropriée et qui la modèle, elle, tellement sensible aux apparences, rides et robes, et qui, pour rien au monde, ne porterait, à l'extérieur, les vêtements de l'usine, et surtout les chaussons à bouts ronds prescri