Bien sûr qu'on n'aurait pas dû. On n'aurait pas dû, mais on l'a fait. Maintenant, c'est trop tard. On a fait couler le livre en éventail sur le gras du pouce, vous savez comme on fait lorsqu'on se souvient y avoir mis à sécher un trèfle à quatre feuilles ou un cheveu aimé, ou pour vérifier qu'il est bien flambant neuf, que personne d'autre que vous n'y a jeté son oeil. Et dans le vent des pages, on a vu, de nos yeux vu, et même senti son souffle sur la nuque, on a lu le nom de Béliard.
Lorsqu'un Béliard rôde dans un roman d'Echenoz, il faut se tenir sur ses gardes, il n'arrive jamais rien de bon, le Béliard porte malheur. Nous avons bien connu un Béliard dans les Grandes blondes (Minuit, 1995), une sorte d'ange gardien du diable (à moins que l'expression «démon-gardien» soit disponible), de petite taille assez indéterminée cependant pour se percher sur votre épaule ou vous suivre devant, comme un chien, un monsieur «je sais tout et je n'en pense pas moins», maléfique et péremptoire, doté de dons approximatifs qui finissent par l'entraîner dans la chute de celui qu'il verse aux enfers. Chez Echenoz, le Béliard conduit toujours en enfer, voilà pourquoi à la lecture de la première page du livre, on ne tremble pas exactement comme il faudrait trembler, on y parle d'un homme que l'on connaîtra mieux bientôt, qu'on décrit déjà: «Bref il est très bien habillé mais son visage livide, ses yeux fixés sur rien de spécial dénotent une disposition d'esprit soucieuse. Ses cheveux blancs so