Le grand roman de la bande dessinée américaine ne pouvait sans doute pas prendre d'autre forme que celle d'un long chant nostalgique, d'une interminable valse-hésitation célébrant la naissance, puis la vie difficile et enfin la désintégration d'une association d'artistes légendaire au sein d'un monde ensorcelant et sans pareil. Avec cette sensibilité à fleur de peau qu'on lui connaissait déjà, Chabon surgit sur la scène d'un théâtre qui n'est pas à proprement parler le sien, mais dont les acteurs ne lui sont pas indifférents.
Son grand-père new-yorkais, qui travaillait dans l'imprimerie, lui a certainement fait le récit des innombrables avatars d'une gent créatrice plutôt bohème et toujours prête à faire les quatre cents coups pour accéder à une notoriété souvent précaire. La lecture de l'autobiographie de Harvey Kurtzman (As a cartoonist, 1888), l'un des créateurs de la revue Mad et auteur fécond, comme l'Histoire du comic-book que vient de publier Jean-Paul Jennequin (Vertige Graphic) incitent à le croire.
Le roman commence à New York, en octobre 1939, avec l'arrivée au domicile des Klayman du jeune cousin de Sammy, un garçon de 19 ans nommé Josef qui a fui la montée du nazisme à Prague. Sammy tombe aussitôt sinon sous le charme, du moins sous la férule artistique de ce garçon bourré de talent et d'idées novatrices dans un domaine qu'il est lui-même en train de prospecter avec une ardeur mesurée : les récits en bandes dessinées. C'est l'époque où se créent des ateliers voués