Depuis dix ans, chaque Cubain paie la grande désillusion au prix fort et comme il peut. L'horizon révolutionnaire et égalitaire est une peau de chagrin cynique et dollarisée. Ce n'est plus une histoire politique, ni même seulement économique ; c'est une impasse existentielle. Leonardo Padura Fuentes a 47 ans et vit cette désillusion comme il est : rond, subtil, prudent, bon vivant, drapant ses paroles dans les silences dont sont faits, sinon les rêves avortés, du moins les phrases dissimulées.
Pour un Cubain, l'exil est souvent la pire des solutions, à l'exception de toutes les autres. Padura l'a refusé. Il est resté dans l'île. Il vit dans la maison où il est né, à l'ombre de la barbe salée du vieux prophète interminable : «Je n'ai jamais songé à partir, même au pire moment. Je ne pourrais pas. Et j'ai le privilège de vivre de mon écriture.» Ses droits d'auteur perçus hors de Cuba le lui permettent. «Le plus dur pour moi serait de vivre ailleurs, d'être étranger.» Enfant, il ne pensait pas devenir écrivain, mais joueur de base-ball. Et c'est en évoquant les règles du base-ball qu'il explique les règles de vie d'un écrivain du dedans : «Elles sont nombreuses et compliquées. On peut les transgresser, les pervertir. Mais il ne faut jamais passer les limites du terrain. Quand l'arbitre siffle, il est trop tard.»
Jusqu'ici, on connaissait Padura pour ses romans policiers. Le flic qu'il a inventé, Mario Conde, est son témoin et son double. Il boit. Il veut démissionner. Il aime Hem