En France, on connaît Jose Maria de Heredia, le poète symboliste des Trophées. Mais «notre» Heredia avait un cousin de langue espagnole : José Maria Heredia, sans particule. Les deux descendent de l'un des conquérants du Nouveau Monde, compagnon de Christophe Colomb. Ils sont nés à Santiago de Cuba : l'Espagnol en 1803, le Français en 1842. Mais le Heredia sans particule est beaucoup plus important pour la langue espagnole et la nation cubaine que ne l'est son petit cousin pour la langue et la nation françaises.
Les poèmes de José Maria Heredia sont l'acte de naissance du romantisme espagnol, mais aussi le premier symbole littéraire de l'identité cubaine. Lorsqu'il naît, Cuba n'est qu'une colonie espagnole enrichie par le commerce du café, du sucre et du tabac. 60 % de la population est noire. La plupart des Noirs sont des esclaves. La traite est abolie en 1820: dans les années qui précèdent, le trafic est plus intense que jamais. Mais, peu à peu, les créoles prennent conscience du fait que l'île possède ses intérêts, son histoire, sa culture. Il faut la penser, l'écrire, la défendre, la regretter : Heredia, qui ne passera que six ans et demi de sa vie à Cuba, va inventer cette culture. Il le fera en exil, dans la nostalgie et l'amertume. Il incarne ce vers de Virgilio Piñera : «L'éternelle misère qu'est l'acte du souvenir.» Dans un petit essai uniquement publié à Cuba, Padura insiste sur ce paradoxe : le premier chantre de l'île n'y a quasiment pas vécu. Sa construction du p