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Interview

Dons pour dons

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Au XVIe siècle, loin de s'exclure, l'économie de marché et le don se nourrissent l'un de l'autre. Entretien avec l'historienne américaine Natalie Zemon Davis.
publié le 20 février 2003 à 22h27

Le don est devenu une notion centrale dans les sciences humaines par la grâce d'un texte qui s'est imposé comme une référence majeure, l'Essai sur le don publié en 1924 par Marcel Mauss. Depuis, il a suscité l'intérêt de plus d'un intellectuel de premier rang, de Lévi-Strauss à Derrida, afin de résoudre ce que Maurice Godelier qualifie d'énigme. Les questions qu'il soulève sont en effet nombreuses, en particulier celle de son devenir historique. Certains, comme Lévi-Strauss voire Mauss lui-même, font du don la caractéristique de sociétés traditionnelles, le profit et le marché éliminant progressivement les autres formes d'échange. D'autres au contraire refusent cet évolutionnisme, estimant que le marché et le don, loin de s'exclure, se nourrissent l'un de l'autre ce qui expliquerait que les Etats-Unis soient aujourd'hui le sanctuaire de l'économie du don.

A la différence des anthropologues, les historiens se sont pourtant peu intéressés au don, mis à part quelques noms célèbres comme le grand helléniste Moses Finley ou Georges Duby, sans que jamais la perspective évolutionniste ne soit mise en cause puisque le don caractériserait pour Finley la Grèce d'Homère, avant la cité marchande, et pour Duby le haut Moyen Âge avant que l'esprit de profit ne gagne l'Occident médiéval à la fin du XIIe siècle. Natalie Davis, professeur à l'université de Princeton et l'une des très grandes historiennes d'aujourd'hui, a procédé à une véritable radiographie du don dans la France du XVIe siècl