A l'instant où Alice lui dit «je veux un enfant de toi», l'angoisse s'abat sur Samuel, comme un vacarme écarlate brassé par des rapaces noirs aux becs prédateurs... La fuite de Samuel, héros du Bruit du givre, est scénarisée par Jorge Zentner, mais c'est Lorenzo Mattotti qui la met en images. Par grandes cases panoramiques, trouées de peu de bulles. Le monologue de Samuel court dans les marges supérieures, comme une partition, pendant que sa vie se convulse dans les couleurs symphoniques de Mattotti, à raison de deux cases/tableaux par page. Quatre par double page : symétrie et chaos, contraste et régularité, organisés autour de l'harmonisation d'un feu d'artifice chromatique.
Mattotti a 49 ans, quelque vingt-six albums ou livres à son actif, une carrière graphique extraordinairement féconde. C'est un auteur culte mais un auteur mal connu. Il y a une telle affirmation plastique dans ses planches, une telle singularité expressive, et, globalement, une si étrange intériorité visuelle dans les scénarios qu'il sert (que ceux-ci lui soient ou non personnels), qu'on hésite à le ranger aux rayons BD, art, ou littérature générale. Les librairies s'y perdent, les lecteurs l'y ratent. Beaucoup de gens pourtant connaissent sa «patte»,grâce à ses affiches : celle du Festival de Cannes 2000, celles que la Mairie de Paris lui a commandées pour «Lire en fête», et bien d'autres dont le Seuil vient également de dresser recueil. Polyphonie colorée, masses souples et mouvantes, danses de corps