Parfois, après une rencontre avec l'écrivain russe exilé Joseph Brodsky, Solomon Volkov, autre Russe exilé, saignait du nez. Brodsky et sa «grâce de loup» le mettaient sous charme et sous pression. La vérité de ce poète d'exception, filant avec rudesse les lumières de la langue, le touchait au coeur ; elle avait le goût du sang. Volkov se demanda longtemps s'il était normal jusqu'au jour où il s'aperçut que Brodsky faisait saigner d'autres nez.
Pendant quinze ans, à New York, les deux Pétersbourgeois, nés dans une ville qui s'appelait encore Leningrad, ont causé. Le livre qui en résulte manque d'un appareil de notes, mais il est du niveau intellectuel des dialogues de Borges avec Osvaldo Ferrari ; il est même plus intense et plus touchant. Il permet de mieux comprendre les poèmes de Brodsky, qui ont renouvelé la langue russe et sont de plus en plus lus dans son pays natal (1) ; de recadrer l'histoire et la relation de son procès soviétique en 1964 (2) ; de faire contrepoint à son recueil d'essais littéraires et autobiographiques, Loin de Byzance (3).
L'enfant prodigue de Leningrad, prix Nobel de littérature 1987, a eu une vie de poète : il a été fraiseur, employé dans une morgue, apprenti-géologue, voyageur, interné dans un asile et traité aux piqûres de soufre, condamné pour «parasitisme social», déporté dans le Grand Nord, viré de son pays à 32 ans. Il découvre à 19 ans un petit gisement d'uranium en Sibérie. A 20 ans, il veut fuir dans un coucou vers l'Afghanistan. Il fréqu