Le philosophe danois Søren Kierkegaard dit : «Le désespoir est la maladie que le pire des malheurs est de n'avoir pas eue.» A juste titre sans doute, s'il est vrai qu'aux extrêmes on fait expérience de ce que la force de vivre a d'invincible. Mais quand on n'a pas écrit le Traité du désespoir et qu'on n'est pas Kierkegaard, on est plutôt enclin à penser, petitement, que tout vaut dans l'existence, hors le désespoir, qui mutile l'âme et pétrifie tout élan. Nul cependant n'irait affirmer, a contrario, que le bonheur, l'accomplissement de soi, par et pour les autres, serait exclusif de toute souffrance : ce serait, remarque Paul Ricoeur, une «idée dangereuse, qui amène à des déceptions, si l'on n'a pas intégré dans sa propre éducation qu'il y doit y avoir une place pour le souffrir». Cette place, au demeurant, il n'y a pas à la «faire» : elle est là de fait, plus ou moins large mais inéliminable. Elle n'a pas forcément l'étendue de cette «vallée de larmes» que l'homme aurait à traverser parce que, né coupable, il devrait se «racheter» et obtenir la rédemption au prix de la torture de soi, la peine et l'affliction. Elle se crée simplement parce que personne, jamais, au cours de sa vie, ne peut éviter de perdre ce(ux) qu'il aime, d'être abandonné par ceux qui l'ont «fait», d'être atteint par une blessure, une maladie ou une injure, d'être méprisé, vexé, tenu pour moins que rien. La perte, l'abandon, la mutilation, l'humiliation, en toutes leurs variables et selon leur intensité,
Critique
Ça ne va pas du tout
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par Robert Maggiori
publié le 13 mars 2003 à 22h02
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