Il retrouve Moscou. «Rien n'a changé. Les croix des églises étincellent, les traîneaux crissent sur la neige.» C'est un 6 mars. Sous une fausse identité, il s'installe dans un hôtel. «Dans ma chambre, un divan élimé, des rideaux poussiéreux. Sous la table, j'ai trois kilos de dynamite.» Nous sommes au bas de la première page, et déjà saisis par la langue sèchement enflammée de ce roman, le Cheval blême, justement sous-titré Journal d'un terroriste. L'auteur, Boris Savinkov (qui le fit paraître sous le nom de Ropchine), sait de quoi il parle. Figure de l'Organisation de combat, branche terroriste du parti SR (socialiste révolutionnaire), c'est lui qui, en 1904, dirige à Moscou l'assassinat de Plehve, le ministre de l'intérieur du tsar, tué par Egor Sozonov ; et l'année suivante, celui du grand-duc Serge, gouverneur général de Moscou et beau-frère de Nicolas II, tué par Ivan Kalaiev. Dénoncé par un agent double, Savinkov est condamné à mort. Son parti organise son évasion, il gagne Paris en septembre 1906. «Jusqu'en juin 1908 je vécus à Paris, en dehors de toute activité terroriste. Puis, je pris part à un attentat sur le tsar», note sobrement Savinkov dans ses Souvenirs d'un terroriste (1).
C'est à Paris qu'il écrit le Cheval blême (titre emprunté à l'Apocalypse) avec, comme motif, un sujet encore brûlant : les attentats commis à Moscou entre 1904 et 1906. Dans ses Souvenirs qu'il rédige durant cette même période, Savinkov s'en tient aux faits, une somme méticuleuse et précieu