Comme l'historien Artières et le sociologue Lae, tout chercheur a été confronté à une archive que rien ne destinait à appartenir au corpus qu'il constituait : papier égaré dans un dossier, oublié dans un carton, mal archivé, sauvé par négligence du pilon ; écrits intimes, correspondance privée que seul le destin a fait échouer dans le fouillis d'un brocanteur. Ainsi naît le plaisir du surgissement incongru de bribes de vies passées, cette émotion indiscrète du dévoilement de l'autre, cet intérêt pour la quotidienneté anodine, oubliée parce qu'engloutie dans l'incognito des sans-grade, si longtemps réputés sans histoire. Pourtant, elles ont été bien peu ouvertes «ces bouteilles à la mer» lancées par des inconnus, happés par l'urgence d'une écriture qui leur était si peu familière. Elles se sont perdues de nouveau dans l'océan des archives ou dans un fond d'étagère. Tel fut le sort de ces «mots anonymes» que les auteurs ont décidé de publier, convaincus qu'il fallait donner à lire ces traces infimes, dessinées dans et par la solitude, par ou pour l'amour. Ainsi se retrouvent par la magie du livre, côte à côte, les brefs échanges, suite à une petite annonce de 1893, entre un travesti et un potentiel compagnon, le long courrier des années 1946-1947 de Solange à son fils emprisonné pour larcin, les «biftons» de réconfort et d'amitié tendre de prisonnières de la Belle Epoque, confisquées par l'administration, et l'autobiographie de Léandre, prisonnier de droit commun, rédigée pres
Critique
Laissez parler les petits papiers
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par Yannick Ripa
publié le 3 avril 2003 à 22h34
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