En 1553, un poète de 30 ans suit à Rome le cardinal Jean du Bellay. Il y reste quatre ans, s'ennuie dans son travail, regrette «la France, et mon Anjou, dont le désir me point». Il écrit peu à peu les Regrets, 191 sonnets qui content son odyssée et ses états d'âme. A l'école, on apprend souvent le trente-et-unième : «Heureux qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage,/ Ou comme celui-là qui conquit la toison,/ Et puis est retourné, plein d'usage et raison,/ vivre entre ses parents le reste de son âge !» Deux ans plus tard, Joachim du Bellay meurt d'apoplexie.
Quatre siècles et demi ont passé et il est beaucoup question d'Ulysse dans l'Ignorance, le nouveau roman de Milan Kundera. Le héros grec est la figure originelle de l'exil, de la mémoire, de l'aventure. Kundera souligne : «Ulysse, le plus grand aventurier de tous les temps, est aussi le plus grand nostalgique.» Il lui faut vingt ans pour retrouver Ithaque. Quand il arrive enfin, ce n'est pas comme l'annonçait du Bellay : rien ne va. Pénélope met du temps à le reconnaître, à l'accepter, à l'assimiler. Les autres ne lui parlent que de ce qu'ils ont vécu. «Une fois rentré, écrit Kundera, il comprit, étonné, que sa vie, son centre, son trésor, se trouvait hors d'Ithaque, dans les vingt ans de son errance. Et ce trésor, il l'avait perdu et n'aurait pu le retrouver qu'en racontant.» Mais justement, nul ne l'écoute. Il faut être écrivain, et encore, pour ça. Comme Homère, cet aveugle mystérieux. Ou comme Kundera, cet émigré qui a