Dans l'Union soviétique stalinienne, le métier de statisticien devint une professionà risques. Les statistiques ne devaient pas décrire la réalité, mais prouver, par une kyrielle de chiffres, que le pays avançait d'un pas alerte sur la voie radieuse du socialisme. Cette vision ne s'imposa pas sans heurts. Car une poignée de savants, fiers de méthodes rodées sous le tsarisme et persuadés que la science pouvait aider à la décision politique, refusèrent de manipuler les chiffres et de se soumettre à la raison d'Etat. L'ouvrage d'Alain Blum et de Martine Mespoulet revient sur cette guerre que le pouvoir déclara à la science. Le recensement de 1937, faisant apparaître une surmortalité, fut annulé par Staline.
Les statisticiens, contraints de classer une société sans classes, durent ruser pour imposer une nomenclature convenant au pouvoir politique. Ils durent également renoncer à l'utilisation de moyennes (car la moyenne obéissant à une loi n'avait pas droit de cité dans un état répudiant les déterminismes). Le pouvoir, enfin, s'efforça de placer les statisticiens sous son contrôle, en rattachant leur administration au Gosplan, en purgeant les éléments récalcitrants.
Ces aspects furent parfois ubuesques ,toujours kafkaïens les statisticiens, dans leur innocence, peinant à décoder la ligne sinueuse du pouvoir politique. Avec les conséquences tragiques que l'on devine. Nombre de savants périrent au Goulag ou dans les caves de la Loubianka. Et l'Union soviétique, faute de données fi