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Peut-on dénationaliser les histoires nationales ? Difficile quand chaque culture élabore les mythologies de ses racines. Un essai de l'helléniste Marcel Detienne.
publié le 24 avril 2003 à 22h58

Il le disait très bien, Erasme : «Là où je suis, là est ma patrie.» Et Kant encore mieux : «Personne n'a originairement le droit de se trouver à un endroit de la terre plutôt qu'à un autre.» Dans les faits, évidemment, il n'en est pas allé ainsi. Là est ta patrie si tu peux attester que là sont tes pères, que ce sol-là est baigné du sang de tes ancêtres et nourri depuis des générations de leurs ossements. Personne, personne d'autre que toi, ne peut légitimement revendiquer cet endroit de la terre, car, aussi loin qu'on regarde et qu'on fouille, on y trouve uniquement d'autres «toi», des hommes identiques à toi, tous issus de la même «souche». Le droit, heureusement, est venu tempérer ces définitions «dures» de l'identité et de l'appartenance à une nation, pétries de «sang et de sol». Mais les «mythidéologies» ont la vie dure, et continuent à faire feu de tout bois, mythe, fable, philosophie, religion, art ou littérature, pour produire des «histoires nationales» dont la fonction est de justifier ce que l'on est par ce qu'on a «toujours» été, en exhibant le sillon ininterrompu qui à rebours conduit jusqu'au «Premier-Né», né de la terre même : l'autochtone.

Par ses ouvrages (1), ou ceux écrits avec Jean-Pierre Vernant (2), Marcel Detienne, fondateur du «Centre Gernet de Recherche comparée sur les sociétés anciennes», aujourd'hui professeur à la Johns Hopkins University, compte assurément parmi les grands «rénovateurs», depuis les années 70, des études d'anthropologie du monde an