Menu
Libération
Critique

Dissection et dissertation.

Article réservé aux abonnés
Dans l'esprit du «Vocabulaire» de Lalande, le nouveau Larousse de la philosophie.
publié le 5 juin 2003 à 23h16

Quand il est d'envergure, un dictionnaire est à une discipline théorique ce que la concentration avant le saut ou la course est à l'athlète. Une sorte de «palier», qui porte les efforts accumulés, les aléas de l'entraînement, les phases de la progression antérieure, tout ce qui s'est passé, et annonce déjà ce qui va se passer, ouvre aux nouvelles possibilités, dessine les perspectives futures. D'une certaine manière, un dictionnaire traduit toujours quelque chose de semblable, une «crise», si on entend par là, comme Gramsci, le fait que ce qui était n'est pas tout à fait mort et que ce qui sera n'est pas encore tout à fait né. La «crise» est l'état naturel de la philosophie, laquelle n'a pas même l'assurance qu'ont les sciences de progresser grâce au «dépassement» de chaque théorie par la théorie suivante, et doit subir le choc des nouveaux savoirs tout en restant adossée à sa tradition et à son histoire. Certes, comme le disait Descartes, «c'est proprement avoir les yeux fermés, sans tâcher jamais de les ouvrir, que de vivre sans philosopher». Mais, de là, il serait hasardeux de tirer que philosopher dispense de se rendre de temps à autre chez l'ophtalmologiste ou de nettoyer ses lunettes. Il n'est pas douteux que l'«état critique» de la philosophie, aggravé par les métamorphoses inouïes qu'a connues la seconde moitié de ce siècle, la fasse aujourd'hui «mal voir», l'oblige à repenser les modes de transmission de ses connaissances, à inventer de nouvelles formes de dialogue