A Cuba, les esprits des morts grimpent volontiers à la Ceiba : le fromager, ou kapokier. C'est l'ancre épineuse et massive de l'identité cubaine : la mère nourricière des vivants et des morts et leur première passerelle. Ni l'orage, ni la foudre ne peuvent le déraciner. Il faut le respecter, lui parler, le traiter avec les égards et les rites dus à ceux qui l'habitent et qui ont fait de chacun ce qu'il est. Le début et la fin de la puissante trilogie romanesque du Cubain René Vázquez Díaz se déroulent donc dans une Ceiba.
Dans le premier roman, l'Ere imaginaire, le futur sculpteur Nicotiano et le futur psychiatre Repelo sont encore enfants. On est dans les années 60, dans un village de bord de mer nommé Villalona. Une immense Ceiba trône dans le patio de Nicotiano. Les deux gamins y ont construit une plateforme. Dessus, ils ont bâti un étrange vaisseau, «une sorte de planeur très léger, au long fuselage et aux larges ailes, sur lequel ils espéraient concrétiser leur rêve de voler un jour vers la mer». Ils l'ont appelé : Aura Tiñosa. C'est le nom d'un vautour répandu dans l'île. Dans les années 90, on pouvait en voir rôder ici ou là sur le pays exsangue ; en particulier place de la Révolution, à La Havane, sur le monument José Martí. Cette pyramide de béton symbolisait soudain le gibet des fantômes et des illusions révolutionnaires.
Dans le troisième et dernier roman publié aujourd'hui, Un amour qui s'étiole, quarante ans ont passé. Nicotiano est mort à Miami. Il y avait fui co