«Chef du peuple de la nuit», pour reprendre la célèbre formule de Malraux, Jean Moulin s'est progressivement imposé comme la parfaite icône de la Résistance nationale (pensons à la photo de l'homme à l'écharpe et au chapeau), dont il incarne aujourd'hui les valeurs et l'esprit. Chacun connaît son destin de jeune préfet de Chartres révoqué par Vichy, résistant de la première heure devenu l'émissaire de De Gaulle dans la France occupée. On sait son rôle fédérateur des diverses résistances intérieures, qu'il sut rallier à l'homme de Londres, l'impulsion décisive qu'il donna en 1943 à la création du Conseil national de la résistance, et sa mort en martyr quelques semaines plus tard, victime de Barbie et de ses tortionnaires. Bien sûr, comme toute notoriété, la sienne a également son revers. Un procès en mémoire est ainsi venu ternir cette image héroïque, l'accusant d'avoir été l'homme du Parti communiste, voire, dans les versions les plus grossières, un agent du KGB. Issues des milieux résistants (c'est Henri Frenay, chef du réseau Combat et adversaire politique résolu de Moulin, qui lance cette accusation dès 1951), ces attaques ont récemment trouvé une seconde jeunesse, portées par la faveur éditoriale et médiatique dont la Seconde Guerre mondiale continue d'être l'objet.
De cette figure à la fois familière et complexe, Jean-Pierre Azéma a voulu écrire la «biographie politique». Professeur à Sciences-Po, l'auteur est un spécialiste reconnu de la période et il avoue en postface