Ça commence comme ça : «Je suis un héros. Il est facile d'être un héros. Quand tu n'as ni bras ni jambes tu es un héros ou tu es mort. Quand tu n'as pas de parents compte sur tes bras et tes jambes. Et tâche d'être un héros. Si tu n'as ni bras ni jambes et qu'en plus tu t'es arrangé pour venir au monde orphelin c'est gagné. Tu es condamné à être un héros jusqu'à la fin de tes jours. Ou à crever. Je suis un héros. Je n'ai tout simplement pas le choix.» Fin du premier paragraphe. Deux cents pages, du même tonneau.
D'emblée, le souffle d'une voix qui revient de loin, de trop loin pour céder aux complaisances du pathétique, du larmoyant ou du sordide. Le souffle d'une vie scandée en une quarantaine de ponctuations, comme une confession déterminée, débarrassée de ses scories pour avoir été longtemps retenue et ruminée. D'emblée, une férocité traversée d'éclats de rire effrayants, autrement dit un manuel de survie pour tous les entravés, les mal nés, les lourdement handicapés. D'emblée, une oeuvre qui cisaille les sentiers habituels de la narration. Un choc qui nous vient de Russie. Transporté que l'on est par la fièvre maîtrisée de ces pages signées Ruben Gonzalez Gallego, comment ne pas songer aux Récits de Kolyma de Varlam Chalamov (1) ? Ce dernier a passé près de vingt ans au goulag à une époque où Ruben, fils objectif de Chalamov, n'était pas encore né. C'est dans des orphelinats, des centres pour handicapés que Ruben Gallego a passé sa jeunesse soviétique. Un monde où l