Petit déjà, dans la cour de récréation on entendait des conneries comme : «Raconte pas ta vie, elle est pleine de trous.» Et alors ? Est-ce une raison suffisante pour ne pas la raconter, sa vie ? Philippe Djian raconte une vie, on espère pour lui que c'est celle d'un autre, et elle est pleine de trous. Pire, elle n'est qu'un trou immense au fond duquel il a ramassé quelques éclats, cinq exactement, des bribes circonstanciées, des morceaux de vie remis dans l'ordre chronologique, en gros un fragment tous les dix ans, un bout de vie, brute, ébréchée, noircie, aux bords coupants. Même pas un truc genre puzzle à reconstituer patiemment, avec un modèle sur le couvercle de la boîte, non, une vie bonne pour la casse, trop de pièces manquantes, rien à en tirer, ni un rébus dont chaque syllabe déchiffrée donnerait la clé d'un tout. Aussi, de loin, le livre a de faux airs de recueil de nouvelles, et de près, quand on a le nez dedans, pris comme une souris dans sa tapette, c'est trop tard, cette vie-là vous colle à la peau, vous dit des trucs des autres qui, mettons que ce soit le cas de le dire, vous pendent au nez. Tout le monde a une mère.
C'est donc l'histoire d'un type qui raconte sa vie pleine de trous, il ne dit pas les trous, il a assez à faire avec ce qui reste, les bosses, à 11 ans, c'est la première phrase, «Je dois dire que s'il y en avait un qu'on ne s'attendait pas à voir, c'était bien lui», le père, on ne le reverra plus mais pendant les vingt premières pages, il va fallo