Réalisé par Veit Harlan, le Juif Süss représente le symbole et l’apogée de la propagande antisémite nazie. Ce film, on le sait, s’inspirait d’un fait divers authentique la pendaison, en 1738, de Joseph Süss Oppenheimer, accusé d’avoir utilisé dans de noirs desseins l’influence qu’il exerçait sur son protecteur, le duc de Wurtemberg. Outre l’enrichissement qu’on lui reprochait, ce juif de cour était accusé d’avoir renforcé le pouvoir ducal aux dépens des villes et d’avoir attisé les tensions entre catholiques et protestants sur fond de dépravations sexuelles, l’homme ayant abusé, disait-on, de jeunes chrétiennes. Largement mythiques, ces chefs d’inculpation offraient une trame suffisamment fertile pour que les nazis s’emparent d’une histoire aux facettes prometteuses.
Claude Singer revient donc, dans un livre stimulant, sur les lieux du crime. La force de son ouvrage est d'éclairer ce monument abject par une analyse exhaustive refusant de se limiter à la seule analyse de contenu. Chemin faisant, l'auteur restaure une complexité parfois oubliée. Avant de devenir un instrument placé au service du nazisme, l'affaire avait en effet été abordée par des écrivains juifs. Lion Feuchtwanger avait ainsi écrit une pièce, puis un livre promis à un grand succès, signe que le destin tragique de Süss pouvait susciter des lectures contradictoires. On oublie, de même, que le réalisateur Veit Harlan, avant de succomber au charme de Goebbels, militait sous la République de Weimar dans les ra