La romancière américaine Louisa May Alcott (1832-1888) envisagea dès le début sa carrière littéraire comme une punition infligée par le destin à la jeune fille de santé précaire et de modeste condition sociale qu'elle était. Paradoxalement, elle devint en 1868 l'auteur d'un des livres les plus lus du monde anglo-saxon, les Quatre Filles du Dr March, considéré comme un modèle de courage et une leçon de morale familière insurpassable. Prise en tenailles entre le désir forcené d'écrire et celui de considérer cet acte «dénaturé» comme une infamie, elle s'abandonna au péché de publier sous divers pseudonymes des oeuvres d'une nature très différente de celle de son chef-d'oeuvre. De courts et ténébreux romans sortirent donc de sa plume, où s'exprimait, sur le mode du thriller, vestige du récit frénétique et ancêtre de nos romans de suspense psychologique façon Higgins Clark, une vision des pires turpitudes de la nature humaine. Publiés en feuilleton dans les tabloïds américains de l'époque, ils furent pour leur auteur une source de revenus lui permettant d'améliorer l'ordinaire de sa famille toujours dans le besoin : ainsi, la célibataire endurcie se faisait-elle pardonner le sensationnalisme de sa prose mercenaire, voire l'érotisme sous-jacent à plus d'une de ces histoires à rebondissements multiples qu'elle composait dans la fièvre... Mais, pour rien au monde, la nièce du grand Ralph Waldo Emerson, soumise aux très étroites règles de la communauté de Concord, n'aurait supporté l
Critique
L'Alcott tue lentement
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par François RIVIERE
publié le 3 juillet 2003 à 23h39
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