Dans la saga québécoise de Marie Laberge, le temps passe extrêmement lentement. Chaque soir, dans leur chambre, les époux Gabrielle et Edward Miller «placotent», car ils ont toujours quelque chose à se raconter. Et ils ne se contentent pas de faire des enfants (cinq en huit ans), ils y prennent du plaisir, ils s'aiment. Leurs «secrets de nuit» n'entraînent ni péché ni remords chez Gabrielle. Le volume qui lui est consacré, et qui ouvre la trilogie, est encore tout empreint de religion (on est dans les années 30), avec son corollaire, la rébellion contre l'emprise du clergé catholique. Plus tard, bien des malheurs plus tard, on saura que Gabrielle «a trouvé que Dieu lambinait sur certains dossiers».
Le temps passe lentement, et les enfants grandissent. A travers ces centaines de pages, ils demeurent les présences les plus puissantes. Adélaïde Miller, graine d'héroïne, a 7 ans. Elle rend déjà des services dans la maison, de même qu'on verra Florent tresser à longueur de journée des «catalognes», qui sont des tapis, pour subvenir aux besoins de sa famille. Florent et Adélaïde se sont choisis pour la vie, dès tout-petits, sur l'Ile où se passent les étés immuables. Florent commence pauvre, dans un univers où on ne va pas au bal, où on ignore les thés du Château-Frontenac. Adélaïde restera riche.
C'est toujours le bonheur dans la chambre conjugale des parents Miller. Il arrive à Gabrielle de commencer ses phrases avec un fort accent du pays : «Trompe-toi pas, Edward.» Ils discutent