Menu
Libération
Critique

Chalamov, la Kolyma pénitentiaire

Article réservé aux abonnés
Première traduction intégrale du grand oeuvre de Varlam Chalamov sur le pire des Goulags.
publié le 4 septembre 2003 à 0h51

C'est l'histoire d'un gant. En peau. Humaine. 1943, Varlam Chalamov n'en finissait pas de purger peine sur peine dans la Kolyma, cette région extrême, à l'est de la Russie où «douze mois par an c'est l'hiver, le reste c'est l'été». L'hiver aussi est extrême. Dans les camps soviétiques de la Kolyma, mines d'or ou chantiers forestiers, les «crevards» travaillent par moins 40 °C et plus. Ce n'est que vers moins 56 °C («à moins 55°, c'est un jour ouvrable») que la direction des camps laisse les crevards végéter dans les tentes ou des baraquements au demeurant mal chauffés. Froid ou pas, la faim règne. «Une faim dévorante, persistante, que rien ne pouvait assouvir», qui ne laisse pas grand-chose entre la peau et les os. A la fin de sa vie, dans un hospice, Chalamov cachait sous son oreiller la nourriture qu'on lui apportait.

Après dix-sept années de camp, Chalamov était alors dans un piteux état : ulcères causés par le scorbut lequel avait déchaussé aussi plus d'une dent, doigts qui suppurent à cause des gelures, chancres aux jambes. Et maintenant sa peau qui «se détachait comme une écale». Un gant glisse de sa main, fait de la peau morte d'un mort vivant. «Même les empreintes digitales de ce gant mort sont identiques à celles du gant vivant qui, en cet instant, tient le crayon, écrit-il presque trente ans plus tard. Mais la peau qui a repoussé, cette peau neuve, ces muscles sur mes os, ont-ils vraiment le droit d'écrire ? S'ils le font, que ce soient les mots qu'aurait pu tracer