L'hiver. Le silence. Le nord-est de la France. Les échos et les blessés de la Grande Guerre tonnant derrière le promontoire. Des figures de province murées dans l'amidon et le désastre. Et, comme fil couleur de sang, l'enquête sur l'assassinat d'une fillette dans une sinistre petite ville. C'est le monde que Philippe Claudel, né en 1962, cherche dans les Ames grises à reconstituer. Il le fait à coups d'images, de déhanchements et d'archaïsmes verbaux soigneusement élaborés. Sa langue est toujours à la limite de la caricature, mais n'y tombe pas. Elle reste au bord et regarde le vide du drame en costumes qui pourrait l'aspirer. Cette tension est fertile : elle détermine l'atmosphère étouffante et rigide, la mort qui règne et la solitude qui l'enveloppe.
Les Ames grises, le titre rappelle bien sûr les Ames mortes, publié en 1842 par Gogol ; et il s'agit bien, comme chez le Russe, de peindre une vie provinciale à bout de souffle, écrasée sous la violence de la règle et l'amertume des soumissions de toute sorte. Mais, pour le style, les Ames grises évoque plutôt les Ames fortes, publié en 1950 par Giono. Claudel écrit par exemple : «Et il resta ainsi longtemps, à se faire geler comme un bouvreuil sur un fil à linge, tandis que les gendarmes se tapaient les pieds et soufflaient dans leurs gants, que le fils Bréchut ne sentait plus son nez et que Croûteux virait au gris-violet.» On y flaire le relent légèrement crispé et alourdi de certaines phrases de Giono : Claudel essaie d'inje