Dans le nouveau roman de Ludmila Oulitskaïa (1), il est question, entre autres, de médecine, d’avortement, de parenté, d’héritage, de génétique, de Dieu et des funérailles de Joseph Staline. L’histoire du docteur Koukotski et de sa tribu (une femme, une fille adoptive, une pupille, trois ou quatre gendres et pas mal de descendance) prolifère comme ses plantes qui envahissent petit à petit l’appartement familial. Le récit se déplie, se déplace sans cesse d’un personnage à l’autre, promène le lecteur de Moscou à Saint-Pétersbourg, de Sibérie en Crimée, traverse deux guerres, la terreur stalinienne puis le dégel. Le Cas du docteur Koukotski est aussi un livre interrogateur, où le «cas» en question renvoie au cas de conscience de chaque personnage, à tour de rôle, confronté à la question du devoir. Oulitskaïa y tisse sa toile, riche de questions métaphysiques et inépuisables, dont celle, centrale dans le roman, des rapports tendus entre la morale et la science.
Pavel Koukotski, né vers 1900, descend d'une longue lignée de médecins. Il est encore étudiant quand ce matérialiste se découvre un don de visionnaire : il distingue, paysage ouvert et coloré, l'intérieur des organes de ses malades. Désormais, il lit dans les corps des patients comme dans les livres de médecine qui le fascinaient dans le cabinet de son père. «Les altérations pernicieuses avaient une teinte d'un mauve soutenu, et les régions de prolifération active palpitaient d'une couleur pourpre granuleuse. Quant à l'emb