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Libération
Critique

Comme des glaçons

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Emmener un récit là où il n'y a rien, faire parler les fantômes, se moquer du vide: Marie Darrieussecq donne un septième roman hyper-ludique.
publié le 18 septembre 2003 à 1h02

Supposons que Marie Darrieussecq ait décidé de dégivrer son congélateur. Là, elle tombe au fond d'un tiroir sur un vieil exemplaire de Poétique du récit et elle se rappelle la célèbre question qui a hanté toute sa khâgne : qui raconte le roman ? Aussitôt, les mains dans la glace, elle décide de mixer le projet flaubertien du livre sur rien avec le Meurtre de Roger Ackroyd et d'écrire un livre dont le narrateur est le rien, le néant ­ à moins qu'elle n'ait pensé à cet élève qui avait cru entendre en Hegel la Mort elle-même s'exprimer. Par ironie, elle appelle «Projet White» le point de convergence de son récit. Mais, comme un bonheur n'arrive jamais seul, Marie Darrieussecq aura dans le même temps reçu une bourse de l'ambassade d'Antarctique pour aller se les geler dans ce beau pays. Sur place, elle aura tout appris sur le fonctionnement des tinettes glaciaires, elle aura goûté de l'eau dégelée agrémentée de sels minéraux. Elle aura vu des gens sucer des glaçons de champagne (vous pensez, à cette température) et d'autres, chargés d'électricité statique, prendre le jus en maniant du métal. Peut-être se sera-t-elle plutôt fadé quarante-douze récits d'expédition à partir desquels elle aura extra-pôlé ou, mieux encore, aura-t-elle tout inventé, de toute façon, le résultat est le même : elle met plein de détails réalistes dans son roman, façon reportage au Pôle, afin de ravir les amateurs de dépaysements aventureux et, du coup, elle cède au syndrome Hibernatus en tentant de rendre