«Non, ce n'est pas ainsi qu'il faut écrire des oeuvres littéraires, pas sur commande, à la baguette, mais avec du temps et en toute liberté.» Dostoïevski écrit ces phrases en juin 1875, depuis Ems, en Allemagne, où il est en cure. Le livre sur lequel il a tant de mal à avancer est l'Adolescent, ensuite il aura ces difficultés avec les Frères Karamazov. Les romans paraissent d'abord en revue et l'écrivain doit perpétuellement tenir les délais, il a absolument besoin d'argent, c'est toujours comme ça, il a déjà eu le sentiment de saloper Crime et Châtiment et l'Idiot. Ce dernier volume de sa Correspondance couvre les dernières années de Dostoïevski, de 1874 à 1881 (né en 1821, il meurt le 28 janvier 1881). Mais une de ses dernières lettres sera au rédacteur du Messager russe qui publie les Frères Karamazov (à ce moment, Dostoïevski bénéficie du respect de ses éditeurs et manifestement de leur bienveillance) : «Je vous serre chaleureusement la main et vous remercie de votre aide. Pour votre férule de rédacteur aussi, je crois : elle m'est parfois nécessaire.» Comme si ce supplice littéraire, quoi qu'il ait prétendu, était nécessaire à son travail. Si, c'est aussi ainsi qu'il faut écrire, pressé par le temps et les roubles, les dernières années de la vie de Dostoïevski étant hantées par l'intuition de sa mort prochaine et la crainte de laisser sans le sou les deux petits enfants encore vivants qu'il a eus avec Anna Grigorievna. (Après sa mort, les gamins bénéficieront d'une aide
Dostoïevski bain bagnard
Article réservé aux abonnés
par Mathieu Lindon
publié le 18 septembre 2003 à 1h02
Dans la même rubrique