Dans Brouillard d’Unamuno, le héros veut se suicider contre l’avis de l’auteur. Dans le roman de Linda Lê, le protagoniste s’appelle Personne et n’en fait qu’à sa tête.ÊL’auteur s’en plaint dans des «apartés», commentaires courroucés de ce qui lui échappe, l’histoire : «J’étais prêt à écrire la suite des aventures du guerrier de Troie aux prises avec Polyphème. J’aime les défis. Mais je m’étais trop vite emballé. Personne ne veut en aucun cas être Ulysse réincarné. Voyez un peu, lecteur, dans quelle situation je me trouve. (...) De quoi ai-je l’air, moi, créateur omniscient, tout-puissant, qui a sorti Personne de son chapeau ? Mon personnage ne veut rien de l’avenir que je lui réserve. Il prend la tangente.»
Nomen, omen, «le nom est un présage». Et il n'est pas tout à fait innocent que celui du personnage soit Personne. Personne, c'est persona en latin, le masque de théâtre, le rôle, c'est aussi pessoa en portugais, avec une majuscule, ça devient le poète hétéronyme, c'est encore dans certaines langues comme le vietnamien, alternativement soi-même ou l'autre. Personne, c'est quelqu'un comme son absence. La polysémie du mot reflète la prolifération des je et la difficulté de l'unité du sujet. Car ici, comme dans les précédents livres de Lê, Voix notamment, on côtoie la folie, on lutte contre elle dans une perpétuelle tension entre la dispersion des personnalités et le désir de retrouvailles avec soi : «Son ancien moi avait tant de jumeaux et chacun d'entre eux avait un double.