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Libération
Critique

Un prix d'amis

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Audace formelle, talent, jeunesse: comment le plus célèbre des prix a trahi, dès le début, les voeux de son fondateur.
publié le 18 septembre 2003 à 1h02

Il y a une phrase impayable dans le testament d'Edmond de Goncourt, texte beau et émouvant au demeurant, pour un type aussi antipathique, par lequel il institue la société littéraire et le prix qui portent son nom. Cette phrase, qu'on est toujours content de citer, dit : «Mon voeu suprême, voeu que je prie les jeunes académiciens futurs d'avoir présent à la mémoire, c'est que le prix soit donné à la jeunesse, à l'originalité du talent, aux tentatives nouvelles et hardies de la pensée et de la forme.» Quelques décennies plus tard, écrit Olivier Boura dans son livre sur le centenaire, «le Goncourt, c'est le triomphe de la Marquise qui sortit à cinq heures».

Le prix Goncourt a-t-il connu une période de fonctionnement normal à partir de quoi les jurés ont commencé à se laisser aller ? Même pas. En 1903, le premier lauréat, John-Antoine Nau (Force ennemie), a 43 ans. Censé aider un écrivain à vivre de sa plume, le prix récompense en 1911 Alphonse de Chateaubriant, un hobereau tellement fortuné que son succès le fatigue. A l'époque, et environ jusqu'à Proust (1919), les six mille francs de rente annuelle alloués aux dix membres du jury, et les cinq mille francs remis à l'heureux élu, valent leur pesant d'or. L'annonce est faite à la sauvette, tard le soir. Puis, pour mille francs, on n'a plus rien. Tapage et tirage vont y remédier. La Condition humaine, d'André Malraux (1933), bat les records avec trois millions d'exemplaires vendus.

Dès l'origine, il a été préférable d'être