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Libération
Critique

Vestiges de la mort

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Qu'y a-t-il entre la vie et la mort? Dans «le Musée du silence», la Japonaise Yôko Ogawa explore les marges. Rencontre entre Tokyo et Paris.
publié le 25 septembre 2003 à 1h07

Tous ceux, dit-on, qui parlent de la mort sans respect sont à peu près sûrs d'y passer. Aussi, Yôko Ogawa se tient à carreau. Elle se cache pour en parler. Elle joue avec l'écriture comme une petite fille à «un, deux, trois, soleil», immobile et muette lorsqu'on la regarde, fébrile et hardie pendant que le monde fixe le mur en comptant sur ses doigts. Et lorsque vous vous retournez, elle est déjà figée dans sa pose énigmatique, elle a reposé sa plume, comme si rien n'était, comme si elle voulait que rien ne soit, comme si ce n'était pas elle, mais elle a laissé dans ses pas invisibles quelques pages miroirs où l'on se voit comme une alouette morte et consciente à la fois. On sait qu'ainsi dans les musées de cire, aux heures de fermeture, les figures du lieu se mettent à danser, à rire, à jouer avec la vie des autres, celles des survivants, en toute impunité, et avec la leur qui ne risque plus rien. Et lorsque la clé du gardien s'annonce dans la serrure, elles reprennent la place sage que le grand ordonnateur du monde a coulé dans sa cire. Regardez-la, elle est là sous vos yeux, entre vie et photographie, les jambes jointes sur les carreaux du canapé, les épaules droites, les doigts à demi emmêlés posés sur les genoux, le contact des pouces, les lèvres peintes et fermées, les yeux ouverts, tendus comme des vrais au travers du masque de porcelaine, noirs, définitifs. Yôko Ogawa est absente, réfugiée à l'intérieur d'elle-même, polie, courtoise, elle sait que vous allez partir,