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Libération
Interview

Affinités sélectives.

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En Europe, on ne traduit pas les mêmes langues selon qu'on est du Nord ou du Sud.
publié le 9 octobre 2003 à 1h19

Le sociologue Johan Heilbron est professeur associé à l'université d'Utrecht et chercheur au Centre de sociologie européenne à Paris. Avec Gisèle Sapiro, il a codirigé un numéro des Actes de la recherche en sciences sociales (numéro 144) intitulé «Traduction : les échanges littéraires internationaux»

Vous travaillez sur les flux de traductions.

Je suis parti de l'hypothèse du sociologue Abram de Swaan selon laquelle les langues du monde constituent un système de communication hiérarchisé. En travaillant sur les statistiques des traductions, on retrouve les mêmes propriétés pour les flux de traductions. Ce système tourne autour d'une langue hypercentrale, l'anglais, à partir de laquelle se font environ 50 % des traductions de livres sur le marché mondial. Ensuite viennent des langues centrales, l'allemand et le français, à partir desquels se font un peu plus de10 % des traductions. Le russe, qui était au même niveau jusqu'à la fin des années 1980, a énormément chuté, un cas très intéressant de changement rapide. Enfin viennent les langues semi-périphériques (l'espagnol, l'italien, le polonais, le danois, le suédois et le tchèque) à partir desquelles se font 1 à 3 % des traductions. Tout le reste est en dessous de 1 % du marché mondial, y compris l'arabe et le chinois, parlés par des centaines de millions de personnes. Le décalage est souvent énorme entre le nombre de locuteurs et le nombre de traductions qui indique la valeur d'une langue dans le champ international d'échanges