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Libération
Critique

Le ton du patriarche

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Premier tome des mémoires de Gabriel García Márquez, écrivain devenu la proie solitaire de sa notoriété.
publié le 16 octobre 2003 à 1h24

«Sinon l'enfance, qu'y avait-il alors qu'il n'y a plus ?», demandait Saint-John Perse. Rien, répond Gabriel García Márquez. Mais l'enfance n'existe pas : il n'y a que son souvenir. Ou plutôt, le fantasme et la recréation de son univers dans le miroir magique et déformant de quelques livres. Et puis il y a la mort, et c'est tout.

Le premier tome des Mémoires de l'écrivain colombien débute par son premier retour au village natal, le 18 février 1950, en compagnie de sa mère. García Márquez est un journaliste pauvre de 22 ans. La famille a quitté Aracataca, c'est le nom du village, là-bas on dit Cataca, quand il avait huit ans. La United Fruit Company dominait tout. Le massacre de 3 000 ouvriers y forgeait les mémoires. Etait-ce 3 000 ? C'est en tout cas le chiffre que l'écrivain, dans les infusions de son imaginaire, a décanté. C'est lui qui fait l'Histoire. Le grand-père, un colonel en retraite, avait lutté pendant la guerre civile, sanglante, au début du siècle. Il est le héros initial et l'inspirateur du colonel Aureliano Buendia, de Cent ans de solitude ­ mais aussi de plusieurs nouvelles et personnages qu'il irradie plus ou moins. Le père est télégraphiste, puis apothicaire. La mère et le fils reviennent pour essayer de vendre la maison familiale. En poche, ils ont à peine de quoi payer leur retour.

Pour rejoindre Aracataca, il faut prendre le train, le bateau, de nouveau le train. C'est un trou de chaleur creusé au-delà de tout dans le nord de la Colombie. Au-delà du réel,