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Libération
Critique

Père et mer

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Une croisière de famille et de mort, par l'Italienne Fleur Jaeggy.
publié le 23 octobre 2003 à 1h31

On entre dans le livre comme dans un lac de montagne. Au début, c'est glacé. On s'habitue ensuite au froid du style, à cette distance avec laquelle Fleur Jaeggy nous raconte la quête d'une fille vers son père, Johannes, mort plusieurs années avant que ne commence le récit. Et à la fin du roman, on ressort transi mais requinqué par la faculté de la romancière née à Zurich de tenir la bride à l'émotion, de poser précisément et sans façon une histoire douloureuse de famille et de morts.

La narratrice poursuit un désir de mémoire, apparu un matin où elle voulut récupérer les cendres de son père, et se laisse guider par lui dans les méandres de son propre passé. «La fille de Johannes» ­ c'est le seul titre qu'elle se donne et il remplace son nom ­ fouille le souvenir de l'unique voyage qu'à 16 ans, elle fit avec son père, à bord d'un navire yougoslave, le Proleterka. Une échappée de deux semaines qui les laissera aussi étrangers et néanmoins indissolublement liés qu'au premier jour. «Pas une confidence. Et pourtant un lien antérieur à nos existences. Une connaissance dans une totale étrangeté.»

Le Proleterka emporte vers la Grèce une compagnie bourgeoise de messieurs suisses allemands et leurs épouses, les ex-collègues de Johannes, industriel ruiné et divorcé. Le couple père-fille jure dans le décor. La jeune fille cherche en vain à cerner ce père reclus dans sa tristesse, un homme qui boite et s'habille au printemps comme s'il allait neiger. Un «fantôme» que sa fille évite, préfér