En 1974, quand il publie ce livre, l'auteur de Trois Tristes Tigres a quitté Cuba depuis neuf ans. Le titre parle d'aube (amanecer en espagnol), mais les aubes successives qu'il évoque ont la couleur du sang et n'enchaînent que sur la nuit : celle d'une île solaire livrée aux massacres, aux colonisateurs et aux dictateurs. Premières lueurs du jour sous les tropiques se compose de cent vignettes, ou short cuts, fixant l'histoire de Cuba : depuis l'arrivée en 1492 de Christophe Colomb, lequel s'enchante d'un paysage qu'il va mettre à sac, jusqu'aux premières répressions castristes dans les années soixante.
Toutes les grandes figures de l'histoire cubaine défilent, dans de petites histoires ou dans de brefs portraits. Elles le font comme des fantômes de lucioles cloués sur la feuille par une prose infiniment précise : Cabrera Infante ne cite jamais aucun nom, comme si, au fond, ces noms n'avaient aucune importance. Ils se détachent mais se confondent, ouvriers, victimes, bourreaux, ombres misérables ou grandioses d'une Histoire qui finit mal. Ils sont également là comme des morceaux de mémoire échoués sur une autre île en perdition : la conscience de l'écrivain exilé, solitaire, malade du retour impossible, et dont cet ouvrage, ce morceau de tissu déchiré, est la dernière oeuvre véritable. Après, il n'y aura que des articles sur le cinéma ou la politique, quelques nouvelles et toute l'amertume des souvenirs impuissants.
On reconnaît cependant ces silhouettes anonymes. Par exemple