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Libération
Critique

Inattendu Godot

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Grand buveur et sublime déclamateur : un Beckett intime par Anne Atik.
publié le 20 novembre 2003 à 1h58

C'est grâce à Roger Blin que la route du peintre Avigdor Arikha croisa en 1956 celle de Samuel Beckett. Un soir où, conviés à un dîner, l'hôte emmena ses invités au Crazy Horse, Beckett et Arikha s'empressèrent de quitter les lieux et se séparèrent à 8 h du matin. Première d'une de leurs nombreuses virées alcoolisées dont le Falstaff, une brasserie de Montparnasse, fut un des ports d'attache. En 1959, Anne Atik (future épouse du peintre) s'immisce dans ce duo (Suzanne, la compagne de Beckett, ne participe pas à ces agapes titubantes menées en langue anglaise). Ce n'est qu'en 1970 qu'elle dit s'être «résolue» à garder trace de leurs conversations «dès qu'il sortait de chez nous ou que nous rentrions d'un dîner au restaurant». De ces notes augmentées de souvenirs, elle a fait un livre qui relate ces soirées où la place de la musique et la poésie étaient centrales. Avant le dîner (où il aimait croquer les arêtes de poisson) et après, Beckett aimait particulièrement écouter les derniers quatuors de Haydn et Schubert et pouvait «chanter la plupart des lieder de Brahms, Schumann, Schubert». Il citait souvent la poésie de Yeats (ainsi «To take into the air my quiet breath», «Pour porter dans l'air le silence de mon souffle»), celle de Johnson (il avait noté dans son Dictionnaire cette définition de lamentation : «plainte audible»). Parmi bien d'autres connus par coeur, il récitait tel poème d'Apollinaire ou plutôt il le fredonnait car «Sam avait pour usage de chantonner» la poésie.