Un roman et un auteur, mais aussi, ce qui est plus rare, un personnage qu'on n'oubliera jamais. Le prix Femina étranger, décerné par onze voix sur douze à la Porte de Magda Szabó, romancière hongroise un temps traduite en France puis oubliée, met en lumière une irremplaçable icône : Emerence. Emerence a existé. Concierge et femme de ménage, née en 1904, placée à l'âge de 13 ans, Emerence rayonne pendant vingt ans dans la vie d'un couple d'intellectuels de Budapest, Magda Szabó et son anglophile de mari.
La Porte, paru en 1987, et connu dans le monde entier, est un texte autobiographique. Ces vingt années que nous donne à parcourir Magda Szabó se situent entre la fin des années 50, quand le carcan qui l'exclut de la scène littéraire commence à se desserrer, et 1978, quand elle reçoit le très officiel prix Kossuth (voir l'entretien page suivante). Emerence est la bonne fée qui a permis à une oeuvre de s'épanouir en épargnant à l'auteur les charges matérielles, mais cette oeuvre-là n'est pas le sujet de la Porte. On a même l'impression que la Porte transcende brillamment un conflit d'ordre esthétique, celui d'un écrivain confronté à une héroïne qui relève d'un autre registre que son genre habituel.
Dans quelle mesure, pour Magda Szabó, s'agit-il d'un roman ? Aucune hésitation lorsqu'on lui pose la question. La Porte, dit-elle, «est construit selon les règles du roman, la vérité y fait l'objet d'une composition.» Ce qui concerne la personnalité d'Emerence est rigoureusement authen