Vous avez la réputation d'être un brillant inventeur d'expériences... Mais c'est la théorie qui m'intéresse. Simplement, à la différence de la physique où on peut être soit théoricien, soit expérimentaliste, en psychologie, si on publie de la théorie sans passer au test, on perd son temps. Par ailleurs, en psychologie, le vrai défi, c'est de transformer des questions complexes en expériences. Quand j'avais un laboratoire, c'était là mon vrai plaisir. Je pouvais transformer n'importe quoi en expérience, j'avais dans la tête une petite machine qui travaillait toute seule : je me réveillais le matin et l'expérience était là.
Vous avez testé des chimpanzés pendant vingt-cinq ans, et Sarah a été la première. Quels rapports avez-vous eus avec elle ?
D'abord, je ne m'intéresse pas spécialement aux singes, je les utilise comme un tableau noir pour comprendre la nature spécifique de l'intelligence humaine. Quant à Sarah, je l'ai achetée en 1958 alors que j'étais à l'université du Missouri. Elle est arrivée d'Afrique tout bébé, sa mère avait sans doute été tuée par un braconnier, c'est ce qui se passait généralement dans les années 50. Je lui ai donné le biberon et j'ai changé ses couches, mais elle n'a jamais habité à la maison, elle n'a jamais vécu avec nous. J'ai eu trois enfants, et je n'ai jamais pris mes chimpanzés pour des enfants, ni mes enfants pour des chimpanzés. Sarah vivait donc au labo, dans un espace plus grand que celui que j'avais lorsque j'étais étudiant et, quand je t