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Libération
Critique

Le chaos Leopardi

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Première mondiale: la traduction intégrale du «Zibaldone», le gisement d'idées du plus grand poète italien depuis Dante.
publié le 18 décembre 2003 à 2h22

«Douce et claire est la nuit, sans un souffle, Et calme sur les toits, au-dessus des jardins, La lune repose et révèle, sereines, Les montagnes au loin....» (1)

En regardant à l'est, on verrait de jour le Monte Conero naufrager dans l'Adriatique. Au-delà, est enchâssée Ancône. En deçà, à partir des plages étroites de Sirolo, Numana ou Portorecanati, le pays grimpe en douceur de coteau en coteau, se repose sur les «balcons des Marches», Osimo, Castelfidardo, Offagna, Recanati, et poursuit, plus âprement, vers «les montagnes au loin», la dorsale blanchie des Appenins. A la fin du XVIIIe siècle, Recanati devait compter, éparpillées de la colline à la mer, moins de quinze mille âmes. C'était un «bourg sauvage», isolé, aussi éloigné de Rome que de Milan. Annexées depuis 1532 aux Etats pontificaux, les Marches étaient piétinées par toutes les soldatesques, espagnoles, autrichiennes, françaises. Lorsque Napoléon traversa à cheval Recanati, le comte Monaldo Leopardi fut l'un des rares à rester cloîtré en sa demeure. Profondément réactionnaire, fidèle au pape, le comte assistait depuis des années, entre rage et résignation, à l'érosion de «son» monde, fait du respect de la hiérarchie et de la soumission aux valeurs chrétiennes. Bibliophile passionné, écrivain féru d'histoire et de philosophie, gouverneur du pays, il ne sortait qu'en habit de parade, pour appeler «des révérences encore plus marquées», de la part du peuple. A sa femme Adélaïde, marquise d'Antici, revenait l'économat, la