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Libération
Critique

New York, milieu du gay.

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Anne F. Garréta passe en revue la somme historique de George Chauncey.
par Anne F. Garréta
publié le 18 décembre 2003 à 2h23

Bugs Bunny est un curieux lapin. Il se travestit facilement en femme (et même en Carmen Miranda), n'hésite pas à caresser le canon du fusil d'Elmer Fudd, non plus qu'à rouler au chasseur bégayant d'humides patins qui sont autant d'insultes à sa virilité. Bugs est-il un lapin queer ? Plutôt, selon Georges Chauncey, le témoin survivant d'un monde et de codes culturels gays qui, dans les années 40 (date de production de ces dessins animés), sont en train de disparaître, de muter sous la pression de la censure et de nouvelles formes de contrôle social dont l'émergence coïncide avec la Dépression et, paradoxalement, avec la fin de la Prohibition.

Que la sexualité ait une histoire, on s'en doutait (au moins depuis Foucault). Mais comment écrire cette histoire ?

Le livre de Georges Chauncey, paru en 1994, a fait date dans l'historiographie américaine, parce qu'il réussit, conjoignant les outils de l'histoire sociale, culturelle et urbaine, à restituer la topographie et l'ethnographie d'une subculture gay new-yorkaise dont la mémoire s'était perdue, dont les traces exigeaient une exhumation minutieuse et un déchiffrement subtil. La vitalité communautaire, la visibilité publique de cette subculture culmine autour des années 30 avant d'être renfermées dans le fameux placard dont les mouvements de libération des années 70 forceront la sortie.

Ce monde enfui et enfoui est un monde gay, ce n'est pas un monde homosexuel.

George Chauncey donne à percevoir concrètement l'historicité du régime q