Personne n'aurait aujourd'hui l'idée de parler de Carlos Marx ou de Ludovic Wittgenstein, mais à une époque, il était loisible de dire Renato Cartesio ou Benoît Spinoza. Quand un ouvrage sur l'un de ces philosophes date un peu, on le voit à ce détail. C'est le cas de celui d'Henri Lefebvre, sur «la destinée spirituelle de Frédéric Nietzsche». Mais, plutôt que par péremption en gâter la teneur, être daté lui donne tout son intérêt comme à une bouteille de vin. Ce vieux Nietzsche est en effet un livre neuf, qu'hors quelques proches, nul n'a pu lire. Achevé d'imprimer le 18 mai 1939, il n'a guère eu le temps de vivre : dès l'automne, sa diffusion est bloquée par les mesures prises à l'encontre du Parti communiste, et, début 1940, quand le gouvernement Daladier s'attaque aux maisons d'édition du PC, il est saisi et mis au pilon. Il n'a jamais, depuis, été réédité. S'il est néanmoins cité par les historiens des idées qui s'intéressent à la «réception» de Nietzsche en France, c'est qu'il est paru justement à l'heure où le philosophe allemand faisait l'objet des plus âpres luttes d'appropriation, philosophique et surtout politique. Nietzsche est donc comme une carte postale qui, parvenue avec plus d'un demi-siècle de retard, d'un côté réévoquerait la figure quelque peu estompée d'Henri Lefebvre, et, de l'autre, illustrerait ce moment, autour du Front populaire, où une part de la pensée marxiste française en consonance avec certains courants allemands, marxistes ou non, représen
Critique
Lefebvre l'éternel retour
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par Robert Maggiori
publié le 15 janvier 2004 à 22h01
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