Aujourd'hui 15 août 2002, c'est la Journée sans Ruskoffs instaurée par le conseil municipal. La ville est décorée aux couleurs polonaises et «le Fort» - de son vrai nom Andrzej -, défoncé comme il se doit, raconte la fête : «La fumée des barbecues a recouvert la ville, une offrande aux divinités sous forme de saucisses, de plats de côtes et de tendrons, sacrifiés au nom de la victoire sur l'envahisseur. (...) Débitées en tranches, les bêtes ne peuvent même pas crier parce qu'on leur a confisqué la bouche pour la mettre sous emballage. Le larynx, l'oreille, l'oeil hachés, conditionnés en sachets de deux cents grammes. L'hiver prochain, il poussera des primevères noires...»
Héros du livre de Dorota Maslowska, le Fort est un jeune paumé de banlieue, sur le littoral baltique. Bourré d'amphétamines, il passe ses journées à divaguer, à traîner dans les bars où il rencontre des filles aussi paumées que lui, à tenter d'oublier Magda qu'il aime mais qui se fiche bien de lui, à cracher sa haine des Ruskoffs qu'il faut exterminer pour faire triompher «la race polonaise». Avec sa langue imagée, il monologue, entre hallucinations et constats désabusés, entre écoeurement et attendrissement, revenu de tout, du capitalisme comme du socialisme. A la fin, le Fort tente de se suicider : «Y en a marre de cette incertitude, je tremble de rage et de désespoir. Alors je prends mon élan, je me rue sur le mur et je cogne dedans de mon corps, la tête comprise, vlan ! Et là, je sais plus distinguer le